Page 1 Page 2 Page 3 Page 4 Page 5 Page 6 Page 7 Page 8 Page 9 Page 10 Page 11 Page 12 Page 13 Page 14 Page 15 Page 16 Page 17 Page 18 Page 19 Page 20 Page 21 Page 22 Page 23 Page 24 Page 25 Page 26 Page 27 Page 28 Page 29 Page 30 Page 31 Page 32 Page 33 Page 34 Page 35 Page 36 Page 37 Page 38 Page 39 Page 40 Page 41 Page 42 Page 43 Page 44 Page 45 Page 46 Page 47 Page 48 Page 49 Page 50 Page 51 Page 52 Page 53 Page 54 Page 55 Page 56 Page 57 Page 58 Page 59 Page 60 Page 61 Page 62 Page 63 Page 64 Page 65 Page 66 Page 67 Page 68 Page 69 Page 70 Page 71 Page 72 Page 73 Page 74 Page 75 Page 76 Page 77 Page 78 Page 79 Page 80 Page 81 Page 82 Page 83 Page 84 Page 85 Page 86 Page 87 Page 88 Page 89 Page 90 Page 91 Page 92 Page 93 Page 94 Page 95 Page 96 Page 97 Page 98 Page 99 Page 100 Page 101 Page 102 Page 103 Page 104 Page 105 Page 106 Page 107 Page 108 Page 109 Page 110 Page 111 Page 112 Page 113 Page 114 Page 115 Page 116 Page 117 Page 118 Page 119 Page 120 Page 121 Page 122 Page 123 Page 124 Page 125 Page 126 Page 127 Page 128 Page 129 Page 130 Page 131 Page 132 Page 133 Page 134 Page 135 Page 136 Page 137 Page 138 Page 139 Page 140 Page 141 Page 142 Page 143 Page 144 Page 145 Page 146 Page 147 Page 148 Page 149 Page 150 Page 151 Page 152 Page 153 Page 154 Page 155 Page 156 Page 157 Page 158 Page 159 Page 160 Page 161 Page 162 Page 163 Page 164 Page 165 Page 166 Page 167 Page 168 Page 169 Page 170 Page 171 Page 172 Page 173 Page 174 Page 175 Page 176 Page 177 Page 178 Page 179 Page 180 Page 181 Page 182 Page 183 Page 184 Page 185 Page 186 Page 187 Page 188 Page 189 Page 190 Page 191 Page 192 Page 193 Page 194 Page 195 Page 196 Page 197 Page 198 Page 199 Page 200 Page 201 Page 202 Page 203 Page 204 Page 205 Page 206 Page 207 Page 208 Page 209 Page 210 Page 211 Page 212 Page 213 Page 214 Page 215 Page 216 Page 217 Page 218 Page 219 Page 220 Page 221 Page 222 Page 223 Page 224 Page 225 Page 226 Page 227 Page 228 Page 229 Page 230 Page 231 Page 232 Page 233 Page 234 Page 235 Page 236 Page 237 Page 238 Page 239 Page 240159 Simon Raab Through the looking glass Martin Stather Depuis les cubistes, rien dans l’art n’est plus comme avant. Au début du siècle dernier, porter sur le monde un regard avec des revendications d’authenticité et de totalité était devenu définitivement impensable. Deux événements centraux ont essentiellement contribué à cela. La Première Guerre mondiale d’abord, qui mit radicalement à bas une façade d’huma- nisme et d’entente entre les peuples, et le naufrage du Titanic par ailleurs, qui sonna le déclin d’une foi en la technique qui pouvait tout permettre. L’art avait en quelque sorte prévu la fragmentation du monde. Le glas de l’art ancien semblait avoir sonné, en même temps que s’annonçait un art nouveau. Ou plutôt des arts multiples qui allaient enterrer l’ancien. L’expressionnisme, le dadaïsme, le vérisme, le surréalisme d’une part, la naissance du suprématisme, du constructivisme et de l’art abstrait de l’autre. Un siècle plus tard, nous avons remisé les « –ismes » et l’art ne connaît plus d’avant-garde. Au lieu de cela, on assiste à une multiplicité de posi- tions artistiques individuelles qui décrivent chacune l’état du monde à partir de sa propre perspective. Les cloisons entre les arts sont également touchées par l’érosion : la peinture et la photographie se mêlent de plus en plus, les limites des genres s’estompent dans la sculpture, le bas-relief, les tableaux pour donner naissance à des formes d’art innovant et sans contraintes. Simon Raab est l’un des artistes qui dépassent sciemment les limites en créant quelque chose de tout nouveau qui conjugue peinture et forme plas- tique. Dans un premier acte de peintre traditionnel, il couvre d’abord de couleurs une tôle d’acier ou d’aluminium, et réalise un tableau, pour ensuite le déformer de sa propre main jusqu’à obtenir une surface brisée et crevassée, une sorte de relief. Ce terme est naturellement erroné puisqu’il ne tient pas compte de la peinture autonome qui couvre la sur- face. L’objet prend une forme mixte auparavant insoupçonnée. Cette des- truction, ou plus précisément cette déformation risquée de la peinture qui donne naissance à une nouvelle forme picturale, s’accorde à la fragmen- tation du monde telle qu’elle a été ressentie par l’individu. Je ne suis pas superstitieux – ça porte malheur ! (Eckart von Hirschhausen) Avec l’ouverture sur le monde qui nous a rapprochés, notre angle de vision s’est fondamentalement modifié. Même les régions considérées comme les plus reculées sont aujourd’hui accessibles, mais cela a aussi donné lieu à une vision du monde qui permet de voir et de produire un grand nombre de choses simultanément, comme dans un kaléidoscope. En consommateurs d’images et d’événements, qui le plus souvent ne nous concernent pas directement, nous sommes un peu dépassés par cette forme particulière de mondialisation. De manière conséquente, Raab crée en quelque sorte des variantes cari- caturales de la réalité, des mirages picturaux qui offrent une multitude de possibilités visuelles. Si l’artiste recourt d’une part à des stratégies pictu- rales cubistes, mettant en jeu différents point de vue et perspectives, il renvoie de l’autre, par le choix du support pictural métallique, à des processus de production industriels contraires au travail artisanal de l’ar- tiste. Ainsi Raab travaille-t-il à des stratégies picturales abstraites ou non figuratives, tout en montrant des choses du monde matériel et des expé- riences du quotidien les plus diverses (des drapeaux, des queues d’at- tente, des grenades à main, des portraits, des courbes d’EKG etc.), pour les extraire du flux des événements et des actes visuels, et donner à chaque instant une signification singulière. Fixé dans le tableau, cet ins- tant est cependant transposé en expérience esthétique par le changement de contexte, et ainsi soustrait au quotidien. Raab goûte ces contradictions qui reflètent peut-être le plus exactement notre condition humaine dans laquelle tout est devenu possible. Se basant sur la tradition spécifique- ment américaine du Pop-Art, l’artiste privilégie des images banales du quotidien (par ex. le billet de dollars) et, contrairement aux icônes de l’art des années soixante, conserve leur caractère insignifiant, en évitant de les agrandir comme dans la publicité pour en sublimer le sens. C’est comme si l’artiste faisait passer ses objets et événements à travers une impri- mante déréglée. Il en ressort des images à facettes multiples et en relief qui reflètent la lumière de toutes parts et suscitent parfois chez l’obser- vateur l’impression de vitraux dans la lumière du soleil. Les œuvres sem- blent scintiller d’elles-mêmes, comme des pierres précieuses qui, sous l’éclairage et l’angle adéquats, révèlent tout ce qu’elles renferment. Miroir, miroir sur le mur… (La méchante reine dans Blanche-Neige) Simon Raab donne une image de notre réalité en éclairant isolément sous un jour particulier des scènes de notre univers quotidien. De la même façon que nous ne disposons plus d’une image coïncidente de la réalité, ses tableaux sont disparates et ne restituent que des détails, qui plus est fortuits. Cette déformation de l’angle de vue permet cependant à l’obser- vateur de prendre du recul par rapport à sa façon de voir habituelle et de découvrir une interprétation visuelle et intellectuelle inédite. Dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Alice découvre un monde dans lequel tout est à l’envers. Le thème du « monde inversé » a une tradition dans l’histoire de l’art. Il règne ici un ordre absurde et contraire aux lois divines, qui enseigne à l’observateur dans un renversement final la juste mesure des choses. Les stratégies picturales de Raab rompent avec la tradition d’un tableau intact – il déforme la surface de l’image et nourrit le scepticisme de l’ob- servateur face à une réalité aujourd’hui devenue dans tous ses aspects parfaitement manipulable et qui n’offre plus rien de sûr à nos yeux. Avec les possibilités de la photographie digitale, nous considérons comme acquis que les photographies ne restituent plus impérativement ce qui a été saisi par l’objectif de l’appareil (fût-ce jamais le cas en photographie). Dans la peinture, les choses sont plus compliquées. Nul n’attend d’un tableau peint une reproduction exacte de la réalité. Malgré tout, la pein- ture transmet toujours un acte de reconnaissance de la réalité sous une forme condensée. Dans ses déformations, Raab rend visible ce processus d’abstraction de la vision (tant chez l’artiste que chez l’observateur), et en conçoit une nouvelle image contemporaine de la réalité. Comme dans un vidéo-clip, les images défilent, changeantes, devant l’œil de l’observateur : un clown, des drapeaux tibétains, un toréador. Nous zappons à travers un univers iconographique qui, dans toutes ses déformations et digressions, est le nôtre, image après image. Il revient à l’observateur de définir pour lui-même le contexte. Le propos de l’artiste, qui est aussi physicien, n’est pas de donner des leçons avec ses œuvres. Il constate plutôt avec elles l’état d’une expérience visuelle qui progresse. Et il la force avec ses tableaux qui ne peuvent être zappés, qui sont comme des accrocs visuels dans le flux des images médiatiques, des tableaux qui se saisissent de l’es- thétique du temps présent tout en conservant la beauté et la fascination du tableau peint.