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Ainsi le tableau est-il une forme condensée de la réalité existentielle, un condensé de vie et un uni- vers opposé à la réalité, un espace de l’idée. Dans ce sens, les tableaux de Simon Raab ne font pas de l’espace pictural un contre univers. Ses tableaux génèrent un espace qui n’est pas précisé- ment tangible. Ils jouent plutôt dans une atmosphère qui englobe d’une certaine façon l’espace des deux côtés de cette membrane superficielle de l’eau. La peinture de Simon Raab se réalise dans ce champ sphérique des réfractions où l’un se transforme en l’autre, où se produit continuellement le renouvellement fusionnel et oppositionnel. C’est une technique à la fois simple et complexe qui lui permet d’y arriver. Il peint la couleur en couches successives sur ces supports de fabrication industrielle que sont les plaques en aluminium ou en acier. Mais il soumet l’éblouissant pou- voir de réflexion de cette combinaison à un traitement rigoureux, défor- mant les surfaces lisses des supports métalliques, modulant le flux des couleurs dans une infinité de plis et réfractions toujours différents. « Que dire de ces plans qui glissent, ces contours qui vibrent, ces corps comme taillés dans la brume, ces équilibres qu’un rien doit rompre, qui se rompent et se reforment à mesure qu’on regarde ? Comment parler de ces couleurs qui respirent, qui halètent ? De cette stase grouillante ? De ce monde sans poids, sans force, sans ombre ? «, demande Beckett dans son essai sur les frères van de Velde. « […] Ici tout bouge, nage, fuit, revient, se défait, se refait. Tout cesse, sans cesse. »3 On ne saurait décrire plus précisément ce qui se passe sur les tableaux de Simon Raab que ne le fait ce commentaire emprunté. Mais il s’y ajoute cependant quelque chose de déterminant. Cette danse des surfaces et des couleurs, qui apparaît chez les van de Velde dans la surface rectangulaire de l’œuvre bidimensionnelle, se concrétise dans les tableaux de Simon Raab. Les surfaces entament leur voyage dans l’espace, s’assemblent en va-et-vient jusqu’à former un réseau spatial complexe aux arêtes duquel la lumière se réfracte. Nous abordons le domaine du sculptural et le ter- rain d’une réalité de l’image qui est la nôtre, et pas seulement imaginée. Cette ouverture à l’espace réel dans lequel se tient l’observateur caracté- rise l’œuvre de Raab d’une manière spécifique. Ici aussi, la matérialité du support pictural industriel acquiert sa dimension la plus profonde. Que le jeu de la couleur n’est pas seulement le métier et l’arsenal du peintre, mais doit aussi être à la disposition du sculpteur, cela a été décrit par l’un des pionniers de la sculpture moderne, Rodin, de merveilleuse façon : « Voyez ces lumières fortes sur les seins, ces ombres énergiques aux plis de la chair et puis ces blondeurs, ces demi-clartés vaporeuses et comme tremblantes sur les parties les plus délicates de ce corps divin, ces pas- sages si finement estompés qu’ils semblent se dissoudre dans l’air. Qu’en dites-vous ? N’est-ce pas là une prodigieuse symphonie en blanc et noir ? [...] Si paradoxal que cela paraisse, les grands sculpteurs sont aussi colo- ristes que les meilleurs peintres ou plutôt les meilleurs graveurs. Ils jouent si habilement de toutes les ressources du relief, ils marient si bien la hardiesse de la lumière à la modestie de l’ombre que leurs sculptures sont savoureuses comme les plus chatoyantes eaux-fortes. Or la couleur – c’est à cette remarque que je voulais en venir – est comme la fleur du beau modelé. Ces deux qualités s’accompagnent toujours et ce sont elles qui donnent à tous les chefs-d’œuvre de la statuaire le rayonnant aspect de la chair vivante ».4 De ce point de vue, l’un des grands peintres parmi les sculpteurs est John Chamberlain. Pas seulement parce qu’il a été l’un des premiers artistes à avoir travaillé à ses débuts avec des laques projetées sur des supports métalliques, mais plutôt parce que ses sculptures et reliefs, assemblages de matériaux métalliques récupérés, morceaux de tôles de voitures, boîtes de conserve et autres, sont toujours réunis selon les lois secrètes du jeu des couleurs. Dans le processus de combinaison des plus divers frag- ments, Chamberlain s’en remet complètement à une décision intuitive comparable au trait de pinceau soudain et fougueux qui est devenu le geste caractéristique de l’expressionnisme abstrait. Ainsi, les collages colorés, les reliefs et les sculptures de Chamberlain ont-ils toujours été décrits comme un prolongement de l’expressionnisme abstrait dans l’es- pace tridimensionnel. À la question de savoir si les reliefs conçus pour le mur peuvent être compris comme une forme tridimensionnelle de la pein- ture, Chamberlain répond : « Je ne sais pas. Il semble que ce soit aussi bien ceci que cela. Tout ce que je sais, c’est ce qui m’a influencé. Je pense que l’influence des collectes de mots (‘collecting words’) 5 a eu plus d’im- pact que l’idée de savoir si je suis un peintre ou un sculpteur. Je pense que je suis un sculpteur. Je manipule et déplace des objets dans l’espace. Je ne peins pas sur de la toile. Je veux dire que de la peinture intervient dans ce que je fais, qui est cependant un objet maniable. Je ne sais pas si c’est tel- lement important. Ce que je trouve important, c’est la résistance de cette sorte de métal que j’utilise. Je pense qu’il s’agit là de la même résistance et du même volume que ceux des individus. Je pense que la résistance de ce métal, sa structure moléculaire, a une certaine compatibilité avec les gens. C’est plus une affaire d’attitude et de position qu’uniquement d’ima- gination. Quelque soit l’imagination dans l’abstraction de ce matériau en un collage, ou une peinture sur métal, ou quelque autre nom que vous lui donnerez […] elle se conjugue avec la décision prise par une certaine per- sonne […] en l’occurrence moi. »6 La décision centrale dans l’œuvre de John Chamberlain est sans aucun doute la négation des limites du support du tableau rectangulaire comme lieu de la couleur. Dans ses premiers dessins déjà, raconte Chamberlain, les bords du papier à dessin lui posaient problème. Cette limitation de la surface qui donnait à chaque dessin sur le papier une signification hié- rarchiquement structurée selon qu’il se situait plutôt au centre ou près des bords, mais surtout la conscience de ce que le tableau est aussi iné- luctablement, dans sa superficie limitée, le support d’une idée picturale illusoire, constituait un véritable problème pour Chamberlain : « J’avais ce problème avec les dessins, j’avais un problème avec les bords du papier. Je ne savais pas comment les dépasser […] Ça a l’air absurde, mais j’avais ce problème. Je posais donc le papier au sol de manière à réunir plusieurs feuilles en une seule. Et je commençais, et partout où il y avait une ligne, une rupture entre deux feuilles, je faisais un trait ou essayais de faire quelque chose pour les relier. Lorsque je les séparais, j’étais déjà allé au- delà de la feuille. J’avais ainsi l’impression d’être en dehors de la feuille ».7 195 3 Samuel Beckett, Le monde et le pantalon, Éditions de Minuit, Paris 1989, p.33 4 Auguste Rodin, L’art. Entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, Paris 2005, p.42–43 5 À partir du printemps 1955, Chamberlain était étudiant au Black Mountain College, dans la classe de littérature du poète Charles Olson notamment. « Je lisais […], et lorsque je voyais un mot qui me plaisait, je l’extrayais et le notais. J’avais ainsi constitué une collection de mots que j’aimais regarder. Ce qu’ils signifiaient n’avait aucune importance, c’est ce à quoi ils ressemblaient qui me plaisait. Je regardais ces mots et les assemblais […] c’est un bon exemple de ma façon de travailler, qui perdure encore aujourd’hui. Il y a autour de toi des matériaux que tu vois chaque jour. Et puis un beau jour, une certaine chose t’interpelle ; tu la lis et l’emportes, et tu la poses ailleurs quelque part, et elle convient, elle est la chose parfaite à ce moment précis. Tu peux faire la même chose avec des mots ou avec du métal. Je crois que cela fait partie de ma définition de l’art ». (Conversations with John Chamber- lain, in : Julie Sylvester/John Chamberlain, A Catalogue Raisonné of the Sculpture 1954– 1985, The Museum of Contemporary Art, Los Angeles 1986, p.11) 6 John Chamberlain dans une interview avec Michael Auping, in : John Chamberlain, Reliefs 1960–1982, cat. d’exp. du John and Mable Ringling Museum of Art, Sarasota/Floride 1983, p.16 7 Dieter Schwarz dans une interview avec John Chamberlain, Shelter Island Heights, 22.5.2005, in : Dieter Schwarz (dir.), John Chamberlain, Papier Paradisio: Zeichnungen, Collagen, Reliefs, Bilder, cat. d’exp. du Kunstmuseum Winterthur, Düsseldorf 2005, p.12