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La première, et la pire, était de déclarer : « C’est bien ma veine, ma culture est gâchée, il ne me reste plus qu’à la jeter. » En fait, ce n’est pas du tout ce qui se passa, et le monde présenta soudain un autre visage : le brave docteur se demanda pourquoi, au contraire, les bactéries refusaient de croître près de la moisissure, et la découverte de la pénicilline lui apporta la réponse. Les deux vies de Simon Raab (la première en tant que scientifique, la deuxième en tant qu’artiste) peuvent être rassemblées sous une seule dénomination, celle d’inventeur. Nous vivons dans une culture qui attache une grande valeur à ce qui est nouveau, et pour cette raison, il est utile de faire ici une distinction. Les inventions réussies ne sont pas seu- lement des innovations ; elles manifestent une originalité orientée vers un certain but. Mon expérience de critique me dit que parleaux est une forme d’art unique, même si le procédé de peindre sur du métal n’a rien de nouveau : il remonte à l’origine de la peinture à l’huile, qui était utili- sée dans les premiers temps pour la décoration des meubles et des armures. Dans le domaine des beaux-arts, les peintures sur métal possè- dent des caractéristiques esthétiques qui leur sont propres : pensez à la luminosité tout à fait spéciale qui transparaît dans certaines des « Peintures noires » de Goya. On pourrait avancer que la façon dont Raab applique la peinture sur des feuilles d’acier malmenées fait de parleaux un cousin éloigné des œuvres de l’artiste post-Pop Billy Al Bengston, baptisées par ce dernier« Dentos ». Mais dans le cas de Raab, il s’agirait alors de parents dont il ignorait l’existence – ce qui n’est pas surprenant : ayant connu leur heure de gloire il y a de cela plusieurs dizaines d’années, les Dentos de Bengston n’ont été qu’un feu de paille sous le soleil californien, témoignant clairement du fait que la nouveauté n’est, par elle-même, qu’une vertu mineure. Non seulement le travail de Raab est nouveau mais, sous certains aspects, il est aussi singulier. À vrai dire, son ambition va bien au-delà de la simple innovation. La façon qu’ont ses images de se transformer à cha- cun de nos mouvements est en elle-même une source de plaisir. Par ail- leurs, ce régal de lumière nous invite également à réfléchir sur l’essence de notre monde post-newtonien, où ce que nous voyons est fonction de l’endroit où nous nous trouvons, et où aucune chose n’est nécessaire- ment fidèle à son apparence. Certains verront dans le principe d’incerti- tude d’Heisenberg une notion frustrante. Mais pour d’autres, Raab com- pris, la mécanique quantique possèdent des résonances théologiques qui font écho à l’injonction concise et accrocheuse de e.e. cumming : “listen: there’s a hell of a good universe next door; let’s go.” (« écoute ! il y a un univers absolument extraordinaire à deux pas d’ici ; allons-y ! »). Imprégné des leçons de la physique contemporaine, Raab nous présente une vision vertigineuse de ces univers alternatifs – une vision qui trouve sa manifestation dans le parleau auquel nous sommes confrontés. Lui- même déclare : « La lumière, qui est l’entité la plus fondamentale de l’existence, est constituée de paquets, d’ondes et de vecteurs de champ électrique tourbillonnant et se taillant un chemin à travers l’espace. Les trajectoires apparentes ne sont en réalité que les combinaisons proba- bles, résultant des probabilités de tous les trajets possibles dans l’uni- vers entier. » Si la science qui vient étayer l’esthétique de Raab est, elle, à la pointe du progrès, ses références artistiques sont aussi bien anciennes que modernes. Nombreux sont les sujets de ses peintures qui ont disparu depuis longtemps : Disraeli, Churchill, Bismarck {désigné par le palin- drome familier Otto} et, à l’autre pôle de la « main d’acier dans un gant de velours » de Bismarck, le Mahatma Gandhi. On apprendra sans surprise que le père de Simon Raab était féru d’histoire. De nombreux modèles de Raab, en effet, ont « fait l’histoire » et ces œuvres comblent ainsi le fossé entre le genre du portrait et celui de la peinture historique. Parmi ces personnages célèbres, certains ont des noms qui sont devenus des adjectifs courants par l’adjonction de la terminaison « -ien », comme dans « darwinien » et « newtonien ». Il serait tentant d’ajouter à cette imposante liste le terme « élizabéthain », si la reine concernée n’était en réalité Elizabeth II, que Raab a représentée sous trois perspectives diffé- rentes. Coronation est un portrait d’Elizabeth II au moment de son couronne- ment : une belle et jeune femme aux lèvres généreuses, peinte dans une palette de tons évoquant de la compote de fruits tourbillonnant dans de la glace à la pistache. Cette image marque le début du règne d’Elizabeth, d’une longueur exceptionnelle ; depuis qu’elle est sur le trône, elle a serré la main d’une douzaine de présidents des États-Unis. Le deuxième parleau de la trilogie, Royal Skullduggery, suggère que même ce règne aura une fin. Sa Majesté, comme on peut imaginer que l’aurait peinte James Ensor : un crâne doré et coiffé d’une tiare-résille, affichant un rictus rouge vif. Le plus déconcertant des trois portraits royaux de Raab montre une reine à mi-chemin entre la nubilité et la mort. Sur un fond bleu roi étincelant comme autant de saphirs, The Sun does set tire parti au maximum de la capacité du parleau à se métamorphoser. Produisant un effet d’escamo- tage (« Ici, on le voit, là, on ne le voit pas »), l’œuvre se rapproche d’une anamorphose. Vue sous un certain angle, on aperçoit la tête et les épaules de la reine âgée, peintes sur des plis d’acier écrasé ressemblant assez à de pâles fleurs pressées. Si vous vous déplacez un tant soit peu, le crâne apparaît brusquement sous la peau. Apparaissant et disparaissant littéralement en un clin d’œil, ce visage de squelette nous rappelle l’image subliminale de la mère de Norman Bates à la fin du film de Hitchcock Psycho, fraîchement sortie (ou pas aussi fraîche, après tout) du cellier. Raab insiste beaucoup sur la distinction entre Elizabeth elle-même, une femme vertueuse qui a passé la plus grande part de sa vie à être un sym- bole, et l’idée de la monarchie qu’elle représente. Selon lui : « Il ne nous est pas donné de pouvoir choisir les facteurs les plus impor- tants qui définissent notre vie : nous les héritons d’instances qui nous dépassent, comme nos parents et/ou les structures politiques. C’est notre condition, et la reine Elizabeth la partage avec nous. Je respecte la reine en tant que femme et en tant que mère, et je respecte son dévouement pour la fonction qu’elle a reçue en 1952, l’année où je suis né. La jeune reine était alors très belle. […] Une monarchie constitutionnelle, pour moi, a quelque chose de cynique. Imaginez, dans une société libre, tout un appareil de fastes et de richesses mis en place dans le simple but de permettre à l’homme de la rue de jouir du sentiment d’une gloire impé- riale… Qu’elles soient absolues ou constitutionnelles, au cours de l’histoire, les monarchies ont dominé les démocraties et les dictatures militaires fascistes. Mais les monarchies ont également dominé sans exception tous les empires coloniaux. » Les trois parleaux de la reine ont cette opinion comme point de départ. Lors de son couronnement (Coronation), tout entière à son rôle, la belle et jeune reine est un modèle de grâce et de dignité. Le Parleau de la reine se décomposant symbolise la monarchie et la fin de l’Empire, sur lequel le soleil se couche malgré tout (The Sun does set). Enfin, la reine au crâne doré (Royal Skullduggery) est un parleau sur la vérité qui se cache der- rière l’expansion de tout empire et de toute monarchie, et qui n’est autre que le droit de piller au nom du roi et de la patrie.