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Norman Mailer Pretty Grenade (2008/09) est une petite vacherie délicieusement colorée. L’œuvre – qui scintille en rose bonbon et vert poison – est gentiment accrochée au mur comme une petite chose chiffonnée. Mais prudence ! Quand on s’en approche, la belle ombelle se métamorphose en un éclair dans la tête de l’observateur, pour devenir ce que l’artiste a voulu qu’elle soit : une grenade à main. Lorsqu’un rayon de lumière vient à tomber sur sa surface fripée, c’en est définitivement fini de la sensation de bien-être. L’image explose en un feu d’artifice de rayons colorés fulgurants, se frac- ture en mille reflets pour se répandre dans l’espace environnant. Dans ce déclenchement visuel incontrôlé, qu’il soit particule ou onde, ou les deux à la fois, la prétention de vérité de l’image se révèle être une belle et dan- gereuse illusion – poussée jusqu’à l’absurde. « C’est le chaos complet et rien d’autre n’est prévisible que la confusion. Le spectre visible dans lequel nous vivons n’est qu’une infime partie du spectre de ce qui est véritablement. Rien ne peut être tenu pour ce que cela prétend être. » Celui qui parle ainsi a une formation de physicien et n’est autre que l’inventeur d’antinomies aussi perfides que Pretty Grenade. Simon Raab, physicien des surfaces (!) et docteur en génie méca- nique, a œuvré la plus grande partie de sa vie, et avec le plus grand succès, à la confluence des sciences et de l’industrie. Mais depuis quelques années, il fait de ses doutes fondamentaux sur la réalité et la vérité la base de son nouveau métier. Depuis, il situe lui-même les lois de ses univers (iconographiques) dans le champ de haute-tension entre physique et métaphysique. L’idée artistique ne doit pas suivre de logique précise. Elle n’exige aucune justification rationnelle. Sa raison d’être naît de la seule aptitude à supposer et à générer une force imaginaire com- plexe. L’art ne doit pas dire la « vérité ». Sur ce point, il a un avantage sur la science, parce que dans la simple représentation symbolique de faits complexes, il peut produire des choses étonnantes. L’art n’est pas une illustration de la science, de la philosophie ou même des questions de croyance, mais il rend tangibles les abstractions présentes dans ces disciplines. Mark Dion Simon Raab a échangé ses doutes sur la vérité de la science contre la durable fascination de l’art. Dans l’équilibre entre création et échec, il s’assure maintenant par lui-même de l’éminence du sens et de la forme. Ainsi se propulse-t-il à un nouveau niveau dans le mouvement spiralé de la vie vers l’épanouissement de soi et la liberté. Né en 1952 à Toulouse, fils d’un Tchèque exilé et d’une Luxembourgeoise, Simon Raab a grandi au Canada dans une atmosphère familiale créatrice entre une mère peintre de paysages et un oncle sculpteur et artiste ver- rier. Rien de surprenant donc à ce que le jeune homme de seize ans com- mence par s’intéresser à la sculpture en métal et en verre, avant d’entre- prendre des études de physique sur les traces de son père. Un an à peine après avoir achevé sa thèse en génie mécanique en 1981, Simon Raab fonde avec succès sa propre entreprise internationale d’appareils de mesure de haute précision commandés par ordinateur. Il dépose 70 bre- vets de logiciels de mesure pour la mise au point de modèles 3D numé- riques et pour des appareils laser employés aujourd’hui encore dans des domaines pointus de la technologie médicale – par exemple dans la thé- rapie des fractures osseuses ou la chirurgie oculaire. Avec l’invention de ses machines au service des hommes, il a œuvré pendant vingt ans – sans le savoir et sans le vouloir – de l’autre côté de la médaille, à ce que l’on nomme la magie de la modernité. Et une constante demeure comme un lien secret dans toute sa biographie: le travail à la lumière et avec elle. La vérité de l’art empêche la science de devenir inhumaine, et la vérité de la science empêche l’art de se ridiculiser. Raymond Chandler Simon Raab fait de la lumière un protagoniste de son art. Car le caractère multidimensionnel de ses assemblages raffinés de matériaux et de couleurs n’est perceptible que par l’alternance de lumière et de surface qui suivent le déplacement de l’observateur dans l’espace. La lumière devient la force qui constitue l’image, cependant que l’artiste chorégra- phie imperceptiblement la perception de son public. Ainsi suscite-t-il l’at- tention que son art nécessite pour se révéler. Simon Raab construit ses tableaux en relief et volume dans un processus de travail complexe qui relève presque de l’alchimie et s’avère être un équilibre concentré de calcul et d’improvisation. Cela commence par une vague idée dans sa tête : un objet qui ne lui laisse pas de répit ou un sen- timent persistant. L’artiste agité en son for intérieur cherche une plate- forme d’action : des grands formats de plaques d’aluminium ou d’acier constituent le point de départ de l’aventure de la conception. Il utilise pour peindre sur ces brillants supports des couleurs acryliques lumi- neuses passées en couches successives fines – translucides – qui sèchent rapidement. Les sujets figuratifs scintillants apparaissent alors comme en transparence sur une feuille de cellophane. Chaque trait de pinceau reste visible et constitue un étincelant réseau à travers les multiples couches de couleurs jusqu’à la base métallique. La lumière et ses reflets colorés réfractés prennent déjà une énorme signification. Mais c’est à l’étape suivante que Simon Raab donne à ses tableaux leur tournure décisive dans l’espace et la profondeur. Il plie et modèle, tord et cabosse, compresse et contraint – alors tout à fait dans le rôle du sculp- teur – les surfaces colorées en un relief riche d’innombrables facettes. Ce processus nécessairement violent ne saurait être mené à bien sans la stupéfiante connaissance des matières du physicien. D’une brillante finesse argentée, l’aluminium plié s’arrondit en souplesse, alors que l’acier aux sombres reflets se caractérise par des surfaces cassantes et des angles aigus. Ces topographies explosives sont consolidées sur le revers par de la résine artificielle. Les cadres eux-mêmes n’échappent pas à ce tourbillon du matériau, des couleurs et de la lumière reflétée. Ainsi la fenêtre du tableau s’ouvre-t-elle dans l’espace de l’observateur. La dyna- mique picturale intrinsèque donne l’impression de pouvoir se poursuivre à l’infini.